Dans les premières communautés chrétiennes
était-on en adoration devant l’enfant-Dieu, devant un bébé né il y a
quelques décades ? Croyait-on qu’on était sauvé par un nourrisson ?
Certainement pas. Dans son récit de la
naissance du Christ, Luc nous parle de l’enfant bien sûr, mais
que dit-il ? Au chapitre 2, versets 11 et 12 qui constituent le
cœur de l’annonce aux bergers, Luc crée un contraste entre la
grandeur des titres –Sauveur, Messie, Seigneur– et la petitesse
du signe –bébé, langes, mangeoire– pour nous faire saisir
comment Dieu arrive dans nos vies et de quelle manière il est
sauveur : il n’arrive pas en force, à grands coups d’éclats, en
armure guerrière comme s’y attendait le messianisme juif. Il le
fait dans la discrétion, dans la vulnérabilité d’un petit
enfant, sans s’imposer, au risque de passer inaperçu.
♪
« Il vous est né aujourd'hui un Sauveur
qui est le Messie, Seigneur
dans la ville de David.
Et tel sera pour vous le signe:
Vous trouverez un enfant dans des langes
et couché dans une mangeoire.»
Lc 2,11-12
Un peu plus loin,
au verset 15, Luc fait parler les bergers ainsi :
♪
« Allons donc jusque dans Bethléem
et voyons cette parole qui vient d’arriver
et que le Seigneur nous a fait connaître. »
Lc 2,15
Dans son récit, Luc
fait un glissement de volontaire entre le bébé qui vient de naître
(v.11) et la parole qui vient d’advenir (v.15), nous amenant
ainsi à un autre niveau de lecture. Il associe l’enfant naissant
à la parole arrivant dans notre humanité. Il ne s’agit pas
seulement d’un simple lien entre l’enfant et la parole, mais
d’une superposition, et, dans la théologie de Luc, d’une
équivalence entre la naissance du Sauveur et la naissance de la
Parole chez nous. Cette parole qu’il nous fait connaître, cette
parole qu’il fait résonner en nous, elle ne s’impose pas, ne
nous oblige pas, elle vit, elle attire notre attention, et
peut nous sauver.
Chez les personnes
qui pratiquent le récitatif biblique cette équivalence n’est pas
une vue de l’esprit ou une belle voltige spirituelle, nous
l’expérimentons réellement. Quand une parole naît à l’intérieur
de nous, elle vit… Parfois à notre insu… Elle revient, elle
rejoue… Dès qu’on y porte attention, elle crée du neuf... Elle
ouvre une porte... Elle nous met en chemin vers une réalisation…
« Allons donc jusque dans Bethléem et voyons cette parole
qui vient d’arriver ».
Quand nous nous approchons de la parole naissante à l’intérieur
de nous, nous nous approchons de Celui qui sauve « Il vous
est né aujourd’hui un sauveur ». Remarquons cet
‘aujourd’hui’ : il est né celui qui sauve, aujourd’hui, non
pas hier, non pas il y a 2 milliers d’années. C’est maintenant
qu’il naît, comme la parole vivante qui surgit en nous et nous
le rend présent, dans l’aujourd’hui de nos vies.
En tout cas, c’est
ce qu’expérimentent les personnes qui pratiquent le récitatif
biblique au Canada depuis presque 40 ans, se reconnaissant bien
dans l'évangile de Luc.
*
L’auteure est fondatrice de
l’Association canadienne du récitatif biblique (ACRB).
Cette
réflexion s’inspire de ce que vivent les personnes qui pratiquent la manducation de la parole
au Canada.
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Autre réflexion sur le
même thème:
Une Parole que l’on porte et qui nous
porte
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